[Fr] Réflexion sur les classements (suite…)

Comme vous l’avez remarqué, je ne suis pas très porté sur les classements de fin d’année, à savoir qui a été “le meilleur” artiste / label / etc., élaborés selon des techniques subjectivo-(économico-)éphémères qui déterminent lequel pisse le plus loin à une époque donnée (que ce soient les disques / artistes choisis selon le goût des rédacteurs, ou des rédacteurs entre eux qui se prouvent qu’ils en ont une plus longue que le blog / magazine voisin). Certes, à première vue, les classements de fin d’année sont un moyen comme un autre de promouvoir des artistes et disques qui seraient passés entre les mailles de votre panier audio. Ok why not. Mais à quoi bon les mettre en concurrence ?

Nous devons tous lutter contre cette marchandisation de la culture, et contre toutes ces personnes qui nous “vendent” de la musique avant de nous faire découvrir quoique ce soit.

 

Est-ce qu’un disque house-bizarre de Perlon mérite d’être “mieux classé” qu’un autre sorti chez Rephlex par exemple ? Pourquoi s’obstiner à vouloir comparer des pommes à des oranges ? Et pourquoi continuer à demander aux lecteurs d’un magazine de faire des “polls” (leur propre classement) de fin d’année ? Je ne sais plus qui disait dans une interview récente que tous ces classements faits par les anonymes (RA / Mixmag pour prendre les pires exemples) ne seront jamais représentatifs ou juste “bons” (appelez ça comme vous voulez) car la majorité des gens n’a pas bon gout. C’est peut-être radical de le dire de cette manière mais c’est pourtant la vérité. Il suffit de s’en convaincre en jetant un œil sur les derniers classements “best of” des lecteurs 2010, je ne reviendrai pas la-dessus.

Enfin, je déteste les classements de fin d’année car ils ne sont simplement pas justes. J’en ai fait aussi il y a quelques années, mais je me suis vite aperçu que ça ne tenait pas la route. Certes je suis content de me souvenir qu’à un moment donné j’ai apprécié tel et tel disque (parfois que je n’écoute plus et que j’ai oublié). Mais que dire des disques que l’on n’a pas compris sur le moment, qu’on réécoute quelques mois ou années après et l’on se dit : “woua, mais c’est de la balle !” ? Combien de disques croit-on vraiment chouettes, ensorcelé par une mystérieuse force qui nous envenime sur le moment, et que finalement on ne réécoute jamais parce qu’une fois l’euphorie passée il n’ont plus vraiment “ce truc” aussi bien qu’au début ? Et qu’en est-il de ces disques qui nous ont échappés, que l’on n’a pas trouvé ? De ces disques sortis en novembre / décembre par exemple qu’on a zappé en 2010 et qu’on ne pourra placer sur la liste de 2011 parce que “ça ne rentre plus dans la case” (cf. interview de Laurent Garnier / BPTchk! #04) ? Et de ce disque qui sonnera “hyper bien” pour nous, mais qu’un autre trouvera “pas mal mais sans plus” ? Quand la subjectivité rentre également dans la danse…

Sur quels critères doit-on alors se baser ?

Le fait est qu’il n’y a pas de critères, et que tous ces classements ne sont que l’un des nombreux dommages collatéraux de notre société qui oblige / promeut / systématise la mise en concurrence entre chaque individus, au profit d’un modèle économique au bord de l’implosion. Mais bon sang, même si les disques restent des produits (le vilain mot) qui se vendent, nous parlons ici de musique, d’art, de passion. Pourquoi s’obstiner à utiliser leurs outils et à reproduire ce modèle qui fait tant de ravages sur nos comportements, nos rapports aux autres, notre façon de voir la vie (par le prisme du consumérisme), pourquoi amener des éléments de ce système dans notre propre sphère électronique ? Je conçois que pour des magazines ou gros webzines ce trick fasse parti du business. Qui sera élu meilleur XXX aura plus de visibilité, et vendra plus de disques ou négociera plus de concerts et à des tarifs plus élevés. Publicité / communication / business-plan. Ces gens-là vous expliquent ce que VOUS devez écouter. Ils créent eux-mêmes une hype artificielle qui s’éteindra d’elle-même quand les ventes commenceront à décliner et qu’une autre sera mise en place par ces mêmes personnes. Je comprends que ces structures fonctionnent de cette façon (autant que je désapprouve totalement : nous devons tous lutter contre cette marchandisation de la culture, et contre toutes ces personnes qui nous “vendent” de la musique avant de nous faire découvrir quoique ce soit). Ce que je saisis moins, c’est que des blogs / webzines plus modestes répliquent ce même système (sans les atouts financiers bien sûr). Il y a plusieurs raisons à cela :

– Peut-être que les rédacteurs ne comprennent pas l’enjeu de ce genre de présentation / promotion de la musique et que leurs listes partent d’un bon (et honnête) sentiment.
– Peut-être parce qu’ils veulent eux aussi montrer qu’ils ont de la culture musicale, que ce ne sont pas des rigolos.
– Peut-être parce qu’ils veulent montrer qu’ils sont une structure “pro” et font donc acte de mimétisme en dupliquant le modèle établi par les magazines.
– Peut-être un peu tout ça à la fois.

Mais suivre un modèle pensé et défini à la base par le système commercial du disque, piloté par des gens qui n’ont que foutre de la qualité des prods, du moment que le chiffre des ventes bat son plein, n’est pas la solution à reproduire pour promouvoir nos musiques.

N’existe-t-il pas un autre moyen de promouvoir les artistes qui nous semblent intéressants à un moment donné ? Si bien sûr.

Il faut d’abord oublier ces putains de classements qui ne veulent rien dire et qui sont aussi illégitimes que néfastes (on n’est pas au Top-50 merde !), et repenser le truc. Si l’on souhaite garder des points de repères pour plus tard (et ce n’est pas une mauvaise chose), pourquoi ne pas simplement présenter les artistes qui ont influencés l’année passée, expliquer brièvement pourquoi ce disque a été important, pourquoi ce gars n’a sorti que des bombes et commence vraiment à peser dans la scène électronique, expliquer les connexions entre différents genres, pourquoi une telle tendance, revenir sur les points négatifs également, etc… On peut aussi bien faire une présentation sous forme de thèmes et non plus de classements vides de sens et absurdes car la compréhension de ces cultures (souterraines, vastes, complexes) ont besoin de beaucoup plus qu’une mise en concurrence perpétuelle (quand on lit Mixmag et qu’on apprend qui a été élu le “meilleur dj du monde” on rigole à pleins poumons, ça n’a aucun sens, et pourtant les autres médias reprennent “ce titre” quand ils présentent ces djs dans leurs articles ou reportages), nos cultures sont connectées entre Histoire de la Musique, art, technologie, sociologie, facteurs économiques, clubbing-culture… et nous ne pouvons pas les réduire dans des listes concurrentielles trop subjectives, pré-obsolètes et incompatibles avec les valeurs qui sont à la base des cultures électroniques : l’art, la passion, le besoin de produire et de partager ce que les artistes ont au fond d’eux avec d’autres personnes, et non pas l’envie de vendre un maximum de disques, de faire des plans marketing, et de tirer un bilan financier à la fin du round.

Promouvoir les Cultures des Musiques Électroniques : oui. Mais pas de cette manière-là. Ne résumons pas tout ça dans un tableau, avec des numéros, des noms placés avant ou après d’autres noms. Il faut faire vibrer les choses d’une autre manière, avoir une autre perspective que celle de la concurrence perpétuelle. Parce que nos musiques ne sont pas comme celles des autres. Et que nos valeurs n’ont rien à voir avec un plan marketing ou com’ de plus.

5 thoughts on “[Fr] Réflexion sur les classements (suite…)

  1. Certes, mais des points de repères sont nécessaires. Le classement n’est sûrement pas le forme la plus adéquate …
    La série “20 best” de factmag est une piste intéressante. Des listes plus thématiques, exemples : 20 best: Post-Punk 7″s http://www.factmag.com/2010/10/31/20-best-post-punk/ , 20 best: EBM & Industrial http://www.factmag.com/2010/10/27/20-best-ebm-industrial/ ou The Essential… Drexciya http://www.factmag.com/2010/09/09/the-essential-drexciya/
    On est là plus dans l’exploration que le classement.

  2. Tout à fait Jérôme, même si je récuse le terme “best” (encore un terme qui nous vient du Marketing – ou de la compétition sportive, ce qui revient à mettre en concurrence la musique avec elle-même). L’aspect important dans ce que tu cites, c’est le recul. Après des années on s’est rendu compte que ce titre avait eu une importance (peu importe à quel niveau) et qu’aujourd’hui on sait qu’il représente quelque chose. Avoir du recul est quelque chose d’important, voir déterminant, et reste incompatible avec des classements qui s’inscrivent dans une temporalité réduite (un an par exemple). Et aussi, si je devais faire la liste des disques que j’ai aimé (moi, de façon totalement subjective, présenté comme tel), il y aurait peut-être plus de titres antérieurs à 2010 (mais que j’ai découvert cette année là) que de titres sortis entre le 1er janvier et le 31 décembre 2010.

    On a besoin de repères : oui ! Mais peut-être faut-il repenser certaines formes de présentation qui étaient déjà les mêmes avant l’arrivée du web (et des nouveaux modes de consommation de la musique). Il y a des choses à expérimenter, on peut tout se permettre avec nos petites structures, alors tentons des trucs ! Non ?

  3. C’est une réflexion très intéressante, que j’ai déjà eue.
    T’as sans doute raison sur le fait que c’est dangereux de reprendre un mécanisme des majors (les charts) dans le journalisme et le blogging, je n’avais pas vu les choses comme ça.

    Je n’approuve pas la méthode de Resident Advisor, ne serait-ce parce que leurs classements ne servent à rien.
    Je suis absolument pour les classements (des blogs et des magazines) pour des raisons déjà évoquées (découverte de ce que l’on a raté). RA devrait d’ailleurs faire leurs propres listes.
    Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi tout le monde fait semblant de croire que les classements se disent définitifs et objectifs. Alors oui, certes, ils sont intitulés comme tels : “best of”, “classement”, ou “top 10”. Mais ils sont tous rattachés à un site, un blog, un magazine, une personne. Franchement, est-ce que les gens sont dupes ? Si tout le monde dit qu’ils ont “LE classement”, c’est parce que c’est une formulation nettement plus convaincante qu’un mièvre “mes disques préférés de 2010”.

    Pour ce qui est des périodes, je trouve que c’est tout à fait légitime d’en faire annuellement, mensuellement ou autre. Le fait de fixer une période donne du sens au “classement” et donne la garantie que seul le meilleur du meilleur (au sens subjectif évidemment !) a été sélectionné, que ce n’est pas une playlist comme une autre. Et puis, on aime tous bien, à l’approche de la nouvelle année, faire le bilan pour mieux tourner la page, non ?
    En fait, les classements c’est une tradition, il y a des codes qui vont avec. Le fait de ne mettre que des disques “sortis entre le 1er janvier et le 31 décembre 2010” en est un : oui, bien sûr qu’en soi c’est artificiel, bien sûr qu’on n’a pas découvert QUE des trucs de 2010 en 2010, bien sûr qu’on a compris seulement en 2010 certains trucs de 2009, mais on le sait très bien et on s’en fout, il faut juste qu’il y ait une période donnée, sinon la liste ne veut rien dire.

    Voilà mon avis, il ne faut pas arrêter cette pratique, à condition :
    – de ne surtout pas mettre d’ordre dans ses classements, ne serait-ce que par souci de ne pas comparer pommes et oranges
    – de les publier en janvier de l’année suivante et surtout pas en novembre de l’année en cours

    Le mieux serait de faire évoluer, mais après ça devient trop personnel. A quoi bon publier un “best of 2008 revu et corrigé” en 2010 ? Non, il faut attendre plus longtemps encore, mais ensuite ça devient une rétrospective…

    Réfléchir à de nouvelles formes de présentation : intéressant, des idées ? Moi pas du tout…

  4. J’ajoute que ce qui me plaît le plus, ce sont les classements à thème, comme dans le dernier Tsugi de 2010 par exemple. Mais ça ou les classements commentés ou les réflexions, évidemment c’est très intéressant mais c’est extrêmement difficile à faire, ne serait-ce que parce qu’il faut plus de recul.

  5. C’est un vrai faux débat je sais que je suis un adepte du classement de fin d’année, non à titre comparatif ou pour instaurer une hiérarchie mais plus par rapport à moi dans le but d’archiver et de retrouver facilement ce qu’il m’a plus. Ca permet aussi de donner des tops excellents, comme le post acid sur gtc ou d’autres que j’oublie sciemment.
    Au final moi c’est ma façon de classer mes mp3 plutot que des listes de lecture itunes ou un classement car je n’en ai clairement pas assez.